Edouard Sivière’s
excellent new book
L’Esprit Positif: Histoire d’une revue de cinéma 1952–2016 (Eurédit édition) is now on the shelves of film bookstore (I reviewed
it on The Review). So here’s a bilingual interview with Sivière where he talks
about the genesis of the project, his relationship with Positif and what he would like to see more of from
the magazine. – D.D.
***
DD: Comment as-tu découvert Positif ?
ES: J’ai découvert la revue
au début des années 90, en 1992 exactement, c’est-à-dire à l’époque du
quarantième anniversaire. J’ai commencé à vraiment entendre parler de Positif à cette occasion et je suis
tombé le mois suivant sur leur numéro affichant The Player de Robert Altman en couverture. Étudiant, je cherchais
depuis longtemps une revue qui recouperait mes goûts tout en m’indiquant de
nouvelles voies. J’ai donc gardé l’œil sur elle les mois suivants et il s’est
avéré qu’en mettant successivement en couverture le premier film de Tarantino
puis les films de Kiarostami, Iosseliani et Zhang Yimou, elle a aussitôt comblé
mes attentes. L’objet était un peu cher mais d’une belle rigueur dans la
présentation. Une autre chose m’a alors épaté : cette revue pouvait consacrer,
comme cet été-là avec Orson Welles, 60 pages au passé du cinéma sans lien
particulier avec l’actualité.
DD: Est-ce que tu la lis
encore ?
ES: Je la lis encore… mais
avec beaucoup moins de passion et de curiosité qu’auparavant. Je ne la lis
d’ailleurs plus intégralement, laissant passer plusieurs textes et me
contentant souvent des critiques des films que j’ai vu ou des plumes qui
m’intéressent. Avant de me replonger dans son histoire pour la rédaction du
livre à partir de l’été dernier, j’avoue même avoir fait l’impasse sur deux ou
trois numéros, ce qui ne m’était jamais arrivé en 25 ans.
DD: À Positif, quels
sont tes critiques favoris, anciens et actuels ?
ES: Pendant les années 50 et
60, Positif a proposé une critique
explosive, passionnée et excessive, particulièrement vivante jusqu’à paraître
désordonnée. Les traitements injustes envers des cinéastes et des films n’ont
pas manqué mais il me semble que l’écriture d’Ado Kyrou, par exemple, emportait
tout par sa ferveur, et que, d’un autre côté, celle de Louis Seguin, moins
fantasque, touchait souvent juste ou au moins provoquait la réflexion. Gérard
Legrand a aussi écrit de très beaux textes, pas toujours simples à suivre, mais
remarquables notamment par leur caractère très personnel et l’approfondissement
perpétuel qu’ils cherchaient à effectuer. Ce flambeau me semble avoir été
repris ensuite par quelqu’un comme Vincent Amiel, à l’esprit particulièrement
ouvert. Il y a tant de noms que je pourrais citer sur ces 65 années : Robert
Benayoun, Michel Sineux, Michel Ciment pour ses textes des années 60-70, N.T.
Binh, Christian Viviani, Jean-Pierre Coursodon, Noël Herpe… Sans compter que,
parfois, les textes les plus stimulants sont signés de critiques accompagnant la
revue sans être au comité de rédaction, comme Barthélemy Amengual hier, Michel
Chion ou Fabien Gaffez pour les années plus récentes. Aujourd’hui, alors que
les écrits publiés sont de moins en moins différenciés et de moins en moins
tranchants, ceux qui m’intéressent le plus sont ceux qui osent tenir des
positions fermes et n’hésitent pas à franchir quelques lignes bien tracées, des
gens comme Fabien Baumann, Adrien Gombeaud, Jean-Christophe Ferrari…
DD: Quels sujets
aimerais-tu voir traités dans la revue sous la forme de dossier ?
ES: Aujourd’hui encore, la
plupart du temps, l’établissement de dossiers solides est l’une des activités
que ses détracteurs ne reprochent pas à Positif,
en tout cas pour ce qui est des dossiers consacrés à l’histoire du cinéma.
Concernant les problématiques actuelles autour du cinéma, c’est surtout un
problème de timing qu’a Positif en
général. La revue, toujours soucieuse de ne pas céder à la mode, prend
régulièrement du retard dans le traitement de certains sujets comme internet,
les séries télévisées... Mais au-delà de cette réticence à aller voir ce qui se
fait ailleurs que dans le cercle de la cinéphilie « officielle », il me semble
que la revue gagnerait à effectuer, à l’occasion de ses dossiers rétrospectifs,
des mises à jour, de vrais retours sur elle-même, sur la façon dont elle a pu
accueillir certains films dans le passé. Et il faudrait peut-être qu’elle pense
un jour à publier un dossier Godard, qu’il aille dans un sens ou un autre, afin
qu’elle ne continue pas seulement à repousser ses films contemporains en disant
regretter ceux des années 60 alors que les rédacteurs de cette époque les
avaient démolis aussi sévèrement.
DD: Comment et pourquoi
l’histoire de Positif écrite d’abord
pour le blog Nightswimming a-t-elle
été publiée en livre ? As-tu effectué beaucoup d'autres recherches et as-tu
beaucoup retravaillé le texte ? Que penses-tu de ton livre maintenant qu'il est
terminé ?
ES: J’ai fermé mon blog Nightswimming lorsque j’ai mis en ligne
la quatrième et dernière partie de cette histoire de Positif. Honnêtement, je pensais en avoir fini avec ce travail,
même si l’éventualité d’une publication papier pouvait toujours se présenter.
J’avais même complètement tourné la page lorsque j’ai reçu une proposition ferme
de mon éditeur l’été dernier. J’ai donc tout repris car ce n’était pas
publiable en l’état sous forme de livre. La première partie, consacrée à la
période 1952-1965, était beaucoup trop courte par rapport aux autres et la
dernière devait être mise à jour puisque trois ans avaient passé entretemps.
Mais c’est la totalité qui a été considérablement augmentée. J’ai tenté de
fluidifier l’ensemble, d’une partie à l’autre, et j’ai ajouté un grand nombre
de citations afin que le lecteur se plonge plus facilement dans cette critique
« à la Positif », ainsi qu’une
conclusion reprenant l’évolution de la revue et évoquant mon ressenti par
rapport à celle-ci.
J’espère
que les lecteurs en apprendront beaucoup sur cette histoire, qui est
relativement méconnue, ce qui m’a poussé d’ailleurs à la rédiger. Le livre est
sans doute, dans certains passages, trop basé sur l’énumération des noms et des
titres, ressemblant alors à un éditorial de Michel Ciment, mais j’ai essayé de
trouver un équilibre entre les données historiques et l’expression d’un
ressenti, qui est assez partagé, me semble-t-il. Mon travail sur le blog avait
été bien accueilli et encouragé, mais était resté très confidentiel. Cette
édition papier lui donne forcément plus de poids. Quelques articles dans la presse
et une mention dans la grande émission de radio « Le Masque et la Plume » le prouvent.
DD: Ta conclusion est un
peu sévère (même si je partage ton avis). Quelles réactions imagines-tu qu'elle
suscitera chez les rédacteurs ?
ES: Cela dépend évidemment
des rédacteurs. Je formule des reproches et j’exprime des inquiétudes qui sont
partagées par certains mais probablement pas par d’autres, satisfaits du
fonctionnement de la revue et de ses choix. J’espère au moins que mon travail
ne sera pas balayé d’un revers de manche sous prétexte que la conclusion n’est
pas très rassurante. Et au mieux, qu’il provoque un débat au sein de la
rédaction. Un compte-rendu du livre devrait être publié dans le numéro de Positif du mois de mai. J’ai entendu
avec plaisir qu’au « Masque et la Plume », Michel Ciment l’avait déjà accueilli
positivement, malgré les critiques que j’ai pu lui adresser.
DD: As-tu déjà rencontré
des rédacteurs de la revue ? Que disent-ils de ton travail ? J’en ai croisé deux ou trois au cours de
festivals ou de présentations, à l’époque où je tenais le blog. Ils
connaissaient mon travail, qui avait donc déjà circulé parmi eux, et l’ont
salué cordialement. Plus tard, grâce aux réseaux sociaux, j’ai pu avoir des
échanges un peu plus approfondis avec deux ou trois autres. Malgré les
désaccords sur tel ou tel détail et les différences de point de vue sur le
fonctionnement de la revue selon que l’on est rédacteur ou simple lecteur, ils
ne m’ont jamais laissé dans l’idée que je faisais fausse route, bien au
contraire. Qu’ils me disent que mon livre leur apprenne, à eux aussi, des
choses sur l’histoire de Positif ou
leur permette de retrouver des plumes appréciées me fait évidemment
particulièrement plaisir.
***
DD: How did you discover
Positif ?
ES: I discovered the
magazine in the early 1990s, in 1992, exactly, at the time of the fortieth
anniversary. I started to hear about Positif
on this occasion and I stumbled upon the following month on their issue with
Robert Altman's The Player on the
cover. As a student, I had long sought a journal that would overlap with my
tastes while pointing out new paths. So I kept an eye on it the following
months and it turned out that by successively covering the first Tarantino film
and then the films of Kiarostami, Iosseliani and Zhang Yimou, it immediately
fulfilled my expectations. The magazine was a little expensive but of a good
rigor in the presentation. Another thing impressed me: this magazine could
devote, as that summer with Orson Welles, 60 pages to the past of the cinema
without a particular link with the actuality.
DD: Do you still read it
?
ES: I still read it... but
with much less passion and curiosity than before. I do not read it any more
completely, letting pass several texts and often content with the criticisms of
the films that I saw or writers that interest me. Before I plunged back into
its history for the book's writing from last summer, I even admit to having
ignored two or three issues, which had never happened to me in 25 years.
DD: At Positif, who are your favorite writers,
old and current ?
ES: During the 50s and 60s,
Positif proposed an explosive,
passionate and excessive criticism, particularly alive until appearing
disorderly. Unfair treatment of filmmakers and films has not failed, but it
seems to me that the writing of Ado Kyrou, for example, carried away everything
with his fervor, and that, on the other hand, that of Louis Seguin, less
whimsical, often touched fairly or at least provoked reflection. Gérard Legrand
also wrote very beautiful texts, not always easy to follow, but remarkable in
particular because of their very personal character and the perpetual deepening
they sought to perform. This torch seems to me to have been taken up again by
someone like Vincent Amiel, with a particularly open mind. There are so many
names that I could quote over these 65 years: Robert Benayoun, Michel Sineux,
Michel Ciment for his texts from the 60s and 70s, N.T. Binh, Christian Viviani,
Jean-Pierre Coursodon, Noël Herpe ... Besides, sometimes the most stimulating
texts are signed by critics accompanying the magazine without being on the
editorial board, like Barthélemy Amengual yesterday, Michel Chion or Fabien
Gaffez for the more recent years. Today, while the published writings are less
and less differentiated and less and less sharp, those that interest me most
are those who dare to hold firm positions and do not hesitate to cross a few
well-drawn lines, people like Fabien Baumann, Adrien Gombeaud, Jean-Christophe
Ferrari...
DD: What topics would
you like to see treated in the journal in the form of a dossier ?
ES: Even today, the
establishment of solid dossiers is one of the activities that its critics do
not retort Positif for, at least in
the case of the dossiers devoted to the history of cinema. Concerning the
current problems around the cinema, it is mainly a problem of timing that Positif haves in general. The magazine,
always anxious not to yield to fashion, regularly falls behind in the treatment
of certain subjects like internet, television series... But beyond this
reluctance to go see what is done elsewhere than in the circle of
"official" cinephilia, it seems to me that the magazine would gain,
in the course of its retrospective dossiers, of updates, real returns on
itself, how it was able to accommodate certain films in the past. And perhaps Positif should one day think of
publishing a dossier on Godard, that he go one way or another, so that it does
not just continue to reject his contemporary films by saying agreeing with regret
the sentiments of the 60s writers that demolished him so severely.
DD: How did your history
of Positif that was first written for the Nightswimming blog get published in book
? Have you done a lot of other research since and have you reworked the text a
lot for the book ? What do you think of your book now that it is finished
?
ES: I closed my blog Nightswimming when I posted the fourth
and final part of this story from Positif.
Honestly, I thought I was done with this work, even if the possibility of a
paper publication could still arise. I had even turned the page completely when
I received a firm proposal from my publisher last summer. So I took it all back
because it was not publishable for book form. The first part, devoted to the
period 1952-1965, was far too short compared to the others and the last part
had to be updated since three years had passed in the meantime. But it is the
totality that has been considerably increased. I have attempted to make the
whole process more fluid from one part to the other, and I have added a large
number of quotations so that the reader can immerse themself more readily into
this criticism “à la Positif” and a
conclusion resuming the evolution of the review and evoking my feelings in
relation to it. I hope that readers will learn a lot about this story, which is
relatively unknown, which led me to write it. The book is undoubtedly, in some
passages, too based on the enumeration of names and titles, resembling an
editorial of Michel Ciment, but I tried to find a balance between the
historical data and the expression of a feeling, which is fairly shared, it
seems to me. My work on the blog was welcomed and encouraged, but remained very
confidential. This paper edition inevitably gives it more weight. A few articles
in the press and a mention on the major French radio show Le Masque et la Plume prove it.
DD: Your conclusion is a
bit severe (even if I share your opinion). What reactions do you think it will
cause among the editors ?
ES: It obviously depends on
the writers. I am expressing reproaches and concerns that are shared by some
but probably not by others, who are satisfied with the way the journal works
and its choices. I hope at least that my work will not be swept away by a brush
of the sleeve under the pretext that the conclusion is not very reassuring. And
at best, it provokes a debate at Positif.
A review of the book should be published in the May issue of Positif. I was pleased to hear that in Le Masque et la Plume, Michel Ciment had
already welcomed it positively, despite the criticisms I included.
DD: Have you ever met
editors of the magazine ? What do they say about your work ?
ES: I saw two or three of
them at festivals or presentations, at the time I wrote my blog. They knew my work,
which had already circulated among them, and greeted it cordially. Later,
thanks to the social networks, I was able to have a little more in depth
exchanges with two or three others. In spite of the disagreements on this or
that detail and the different views on the functioning of the magazine,
depending on whether you are one of its writers or a simple reader, they never
left me in the idea that I was wrong, on the contrary. When they tell me that
my book teaches them things about the story of Positif or allow them to find appreciated writers, it obviously
makes me particularly happy.
Cool interview !
ReplyDeleteJ'ai été frappée par cette phrase d'Edouard, lorsqu'il parle de se découverte de la revue : "L’objet était un peu cher mais d’une belle rigueur dans la présentation. Une autre chose m’a alors épaté : cette revue pouvait consacrer, comme cet été-là avec Orson Welles, 60 pages au passé du cinéma sans lien particulier avec l’actualité".
Il se trouve que ce fut ma réaction, 10 ans plus tard, lorsque je fis face à mes premiers numéros... Ce qui prouve à la fois le côté unique de la revue comme autant son immobilisme dans le temps, son incapacité à sortir de cette ligne éditoriale.